Chapitre V
 VENTE AUX ENCHERES

À midi, le lendemain, Valleroy, toujours aux côtés du médiateur, tentait avec désespoir d’éviter les charrettes et les fourgons qui encombraient les rues d’Iburan. À la différence des villes gens, Iburan ne possédait ni murs d’enceinte ni aucune défense apparente. Elle s’étalait chaotiquement, exhaltant toutes les odeurs fortes d’une ville sime… véritable Métropolis comparée à Valzor.

Au cours de ce long trajet à travers les rues de la ville, Valleroy s’était vu gifler par du linge mouillé qui pendait du deuxième étage, frapper par une échelle d’artisan que Klyd évita avec une grâce diabolique, mitrailler par des boules de boue et insulter par des gosses qui s’éparpillèrent sous le simple regard de Klyd. Il endura le tout avec stoïcisme.

Les affronts diminuèrent au fur et à mesure qu’ils se rapprochaient du lieu de la vente. Par ici, les bâtiments avaient l’air plus neufs, les gens plus ouverts et les rues plus calmes. À l’extrémité d’une allée latérale, ils découvrirent une écurie où ils purent laisser leurs chevaux. De là, ils se dirigèrent à pied vers les tribunes qui se remplissaient peu à peu de spectateurs et d’acheteurs.

La vente se déroulait dans un amphithéâtre en forme de cuvette bordé de hauts bâtiments aux fenêtres bourrées de monde. Les dalles circulaires qui servaient de sièges n’étaient recouvertes que dans les loges somptueuses réservées aux dignitaires. Valleroy se réjouit de la manière dont les Simes évitaient dédaigneusement tout contact avec les « pervers » ; cela leur permettait de marcher librement même au milieu de la foule.

Après s’être orienté, Klyd montra à Hugh les représentants des Communautés, groupés dans un secteur isolé près de la scène. Posant les pieds avec prudence, ils descendirent jusqu’à eux. Klyd se dirigea immédiatement vers le centre du groupe où il échangea quelques saluts cordiaux et divers commentaires avec ses pairs.

Valleroy tenta de répondre à chaque introduction avec courtoisie, mais son regard s’échappait constamment vers la scène. Trois cages argentées disposées en triangle renfermaient trois jolies femmes gens, impeccablement soignées et implacablement méfiantes.

Il n’était plus question d’yeux fixes et sans expressions ou d’esprits vides. Mais bien d’êtres humains. Des êtres humains mis en vente pour être mis à mort avec un luxe infini…

La main de Klyd sur son bras l’obligea à s’asseoir, sans pourtant quitter la scène des yeux. Le médiateur lui murmura en anglais :

– Secoue-toi Hugh. Souviens-toi que ce n’est pas la première fois que tu assistes à une vente avec moi… À moins que tu ne veuilles être soumis à un interrogatoire où nous finirons tous deux par étouffer sous les mensonges ?

Avec effort, Valleroy détacha son regard de la cage centrale qui contenait une rousse vêtue d’un maillot blanc et vert scintillant, un collier d’émeraudes autour du cou. Klyd se tourna vers lui, tout en parcourant des yeux les rangées de derrière.

– Tu prends la droite, tandis que je vérifie la gauche…

Docilement, Valleroy se mit à scruter le côté droit de la foule.

– Qu’est-ce que je cherche ? murmura-t-il en remuant à peine les lèvres.

L’assistance se composait surtout de riches Simes, bien habillés, très soignés et, remarqua Valleroy, armés de fouets aux manches incrustés de bijoux.

D’un ton évident, Klyd expliqua :

– L’acheteur de plus haut rang qui est en état de manque…

– Oh ! s’exclama Hugh comme si cela expliquait tout.

– Peu importe d’ailleurs. J’ai déjà vérifié ton secteur. Mais il faut que tu agisses comme si tu exécutais réellement ton travail.

– Oui, Sectuib.

– Quand je me déplacerai pour parler au Sectuib Nashmar, tu-fouilleras ma section jusqu’à ce que tu repères une femme vêtue de rouge. C’est elle le Premier Enchérisseur, car elle est fortement en état de manque. Je veux que tu l’observes comme si tu lisais ses offres et que tu me les rapportais, et cela jusqu’à ce qu’elle achète. Compris ?

– Compris. Je n’imaginais pas que toutes ces choses faisaient partie du rôle de Compagnon.

– Il y en a encore bien d’autres, Hugh. Pour le moment, espérons simplement que Lutrel ne s’emballera pas pour Aisha, si elle est là…

Klyd se déplaça et entama une discussion avec un des autres médiateurs, Nashmar, qui portait la livrée verte de la Maison d’Imil.

Pour la première fois, Valleroy le regarda attentivement. Nashmar devait certainement compter un Oriental et un Noir parmi ses ancêtres. Car, si son visage possédait les traits orientaux classiques, sa peau était du même brun que l’argile. Elle contrastait étrangement avec la carrure mince, si particulière des Simes. Mais la singularité la plus étonnante de Nashmar résidait dans ses cheveux blonds et ses yeux bleus, incongrus presque avec le reste de sa personne. Valleroy ne put s’empêcher de l’observer quelques secondes de trop.

Son Compagnon n’était pas moins intéressant. Il était de pure race noire, rareté que Hugh n’avait jamais rencontrée jusque-là.

Avec peine, Valleroy détacha ses yeux du groupe en pleine discussion et chercha la femme en rouge. Il ne put distinguer aucune différence marquante entre elle et les autres spectateurs de la tribune… si ce n’est qu’elle paraissait encore plus riche. Docilement, il fixa ses mains, prêt à signaler chacun de ses mouvements.

Dans un roulement de tambour, le commissaire-priseur fit son entrée sur scène et se lança dans un discours prononcé d’une traite, auquel Valleroy ne comprit rien. Le public se calma tandis que Klyd prenait discrètement les mains de Valleroy dans les siennes, ses tentacules mêlés aux doigts du Gen. Valleroy parvint à réprimer un sursaut suffisamment longtemps et s’aperçut que les autres membres des Communautés avaient adopté la même position. Il essaya de se détendre en observant Lutrel. Plus de la moitié du public avait les yeux fixés sur elle.

Les trois femmes furent rapidement vendues et trois hommes prirent leur place. Trois spécimens virils entravés par des chaînes qui n’avaient rien de décoratif. Leurs torses nus luisaient sous la graisse qui mettait en relief le galbe de leurs muscles. Ils avaient le cou cerclé de colliers cruellement barbelés, prêts à leur percer la peau à la moindre pression exercée sur la chaîne. Un second harnais à pointes leur entourait les reins, transformant chaque mouvement brusque en une véritable torture.

Les hommes étaient immobiles, les yeux brillant de défiance, impuissants pourtant.

– Zeor aurait besoin de quelques hommes comme ceux-là, murmura Klyd. Je déteste assister à ce genre de vente sans pouvoir acheter le meilleur.

Valleroy fut prêt à le traiter de Sime fanatique et insensible, mais il se contenta d’observer :

– Elle va faire une offre…

Les yeux de Klyd se portèrent sur les mains de Nashmar à qui son Compagnon venait de communiquer la mise de Lutrel et il la répéta à l’intention de Klyd. Dès que les mains du Premier Enchérisseur se déplacèrent, les autres offres cessèrent immédiatement. La vente du second mâle ne fut plus qu’une formalité.

– Elle s’en va à présent…, chuchota Valleroy. Un de ses serviteurs va prendre livraison du Gen. Elle doit vraiment être quelqu’un !

– Comment, tu ne sais pas ? Mais, Hugh, c’est Lutrel ! Devant le regard interrogateur de son Compagnon, il ajouta : – La femme d’Andle !

– Oh ! Penses-tu qu’elle nous a reconnus ?

– Il est probable que non. Son besoin était suffisamment intense pour la distraire de tout le reste. Mais tu peux être certain qu’un de ses serviteurs fera un rapport immédiat à Andle. Nous devons agir avec une extrême prudence.

– Crois-tu qu’Andle soit personnellement responsable du meurtre de Feleho ?

– C’est très possible. Zeor est une clef de voûte politique. Si l’on nous détruit, tout le Tecton Communautaire s’effondre. Regarde ! Cette fille ressemble à…

Les yeux de Valleroy scrutèrent la scène, oubliant pour l’instant toute intrigue politique des Simes. Mais Aisha ne se trouvait pas parmi les trois beautés aux cheveux noirs qui venaient d’apparaître.

– Celle du milieu lui ressemble un peu, mais Aisha est plus petite, avec quelque chose d’oriental dans les yeux.

– Nous ne sommes qu’au troisième groupe. Il en reste encore neuf. Le Premier Surenchérisseur est à présent l’homme vêtu de noir, celui dans la loge, au-dessus de la troisième rangée.

– Celui à la peau sombre ?

– Oui. Tiens-le à l’œil.

Valleroy se déplaça jusqu’à ce que le Premier Surenchérisseur entrât dans son champ de vision.

– Klyd, quelle raison as-tu donnée à Nashmar pour pouvoir utiliser ses signaux ?

– Le prétexte habituel… Je t’initie à une nouvelle méthode et je ne suis pas sûr qu’elle soit entièrement au point.

– Stacy avait raison quand il parlait de toi. Tu es très bon sur le terrain !

– Il avait raison à propos de toi aussi, sinon nous ne serions pas là. J’aimerais pourtant que tu te contrôles un peu plus.

Après que l’homme en noir eut acheté un véritable géant, il n’y eut plus de Premier Surenchérisseur. Valleroy rentra en possession de ses mains, puisque la vente redevenait ouverte à tous. Des fortunes changèrent de propriétaire dans le seul but d’une mise à mort de choix. Au moment où le septième groupe – trois blondes étourdissantes habillées de bleu – fut présenté au public, Valleroy se tourna vers Klyd.

– Pourquoi sont-ils disposés à payer de telles fortunes alors qu’ils peuvent obtenir un Gen des Réserves pour presque rien ?

– Pour rien, et c’est exactement ce qu’ils valent ! Il y a un certain snobisme à pouvoir se permettre ce qu’il y a de mieux et, dans ce cas, la qualité est proportionnelle au degré de défiance que la victime peut rassembler.

– Eprouvent-ils plus qu’un frisson à vaincre un ennemi ?

Valleroy se rendit compte que le dégoût perçait dans ses paroles, mais il s’en moquait.

– Non, pas à vaincre, mais à effrayer.

– Tu es bien placé pour le savoir !

Du ton professionnellement rassurant dont il s’était servi avec Norbom, Klyd expliqua :

– Je ne devrais pas le savoir puisque je n’ai jamais tué, mais je le sais quand même… Car la disjonction n’a pas qu’un effet physique. La mise à mort répond à des besoins psychologiques profondément enracinés. Elle déforme la personnalité. C’est une des raisons pour lesquelles les jeunes seuls viennent nous voir.

Valleroy ne répondit pas. Le crieur, un Sime à la peau parcheminée, acheva la cession du troisième homme du groupe huit. Chaque vente se disputait interminablement depuis qu’il n’y avait plus d’acheteur prioritaire. Valleroy eut tout le temps d’apprendre quelques mouvements de tentacules du commissaire-priseur.

Le groupe neuf était constitué par trois filles brunes, petites, qui ressemblaient toutes à Aisha. Valleroy se demanda si Feleho ne l’avait pas confondue avec l’une d’elles.

La vente du groupe dix n’en finissait pas. Chacun des trois hommes, plutôt des adolescents, constituait un superbe spécimen de race pure… un Oriental, un Caucasien blond et un Indien. Le commissaire-priseur leur attribua une valeur plus haute que ce que voulaient donner les acheteurs.

Le groupe onze, le dernier groupe de femmes, se composait de blondes statuesques. Le cœur de Valleroy se serra. Le moment de la désillusion était venu. Pourtant, Aisha était aussi combative que toutes celles qu’il avait vues défiler. Elle avait dû représenter une partenaire de choix pour un dignitaire… ailleurs.

Il observa en silence la chaude bataille que menait Nashmar pour l’acquisition des trois derniers hommes qui devaient être frères. Grands, musclés, la haine brillaient dans leurs yeux bleus.

Chaque fois que l’adversaire de Nashmar augmentait la mise, Klyd murmurait un chapelet de malédictions qui stupéfiaient Valleroy par leur intensité et leur verdeur. Une longue pause suivit la dernière hausse au cours de laquelle le commissaire-priseur poussa les amateurs à continuer. Nashmar s’assit en silence, les lèvres serrées.

– Que se passe-t-il ? demanda Valleroy.

– Tyte Narvoon mise contre Nashmar, répondit Klyd en guise d’explication.

Valleroy se retourna pour examiner le rival. Le commissaire-priseur tenta d’accélérer les enchères en offrant les trois hommes en lot, mais Narvoon bloqua son effort.

– À part son air effrayant, en quoi diffère-t-il des autres ?

Klyd accorda à Valleroy un coup d’œil aigu. Il hésita à s’expliquer. Finalement, il esquissa un imperceptible haussement d’épaules.

– Après tout, tu es adulte, même chez les Gens… Narvoon est un homme que je qualifie de véritable pervers, je ne connais pas le mot exact en anglais. Disons qu’il préfère les hommes aux femmes. Personne ne s’en soucierait s’il n’achetait les Gens pour satisfaire ses desseins. La mise à mort est une chose, la torture légalisée en est une autre. Voilà pourquoi même les non-acheteurs ont misé contre lui cet après-midi.

Valleroy observa l’assistance. Nombreux étaient ceux venus pour le spectacle plutôt que pour acheter. Ils semblaient partager l’opinion de Klyd.

– Je suppose, remarqua Valleroy d’un ton acerbe, qu’il y a peu de gens comme lui dans les Communautés ?

– C’est un phénomène extrêmement rare parmi les Simes. Narvoon vient des Territoires Extérieurs. Il paraît qu’on lui a fait la vie très dure là-bas et qu’il ne s’en est jamais remis. Certains disent qu’il se hait d’être Sime et ne peut supporter l’idée d’avoir des enfants. D’autres disent que c’est sa manière à lui de se suicider… En tout cas, il n’est certainement pas bien dans sa peau !

Valleroy se retourna de nouveau vers Narvoon, assis légèrement en retrait par rapport aux autres autour de lui. Ce n’était plus qu’un squelette. Ses joues creusées, ses yeux enfoncés lui dessinaient une véritable tête de mort. Quand le regard de Valleroy se posa sur Klyd, il vit le médiateur échanger des signes avec Nashmar sous le couvert de son manteau. Nashmar acquiesça d’un hochement de tête et signala au commissaire qu’il doublait la mise.

Narvoon se dressa brusquement et quitta l’amphithéâtre, son manteau flottant derrière lui comme les ailes d’une chauve-souris. Une agitation parcourut le restant des spectateurs, que Valleroy interpréta comme un entérinement à l’égard du coup de Nashmar. Il était évident qu’il venait à la fois de gagner trois recrues et la sympathie du public envers le Tecton.

Pourtant, cette victoire paraissait bien dérisoire à Valleroy. Sur un total de trente-six Gens vendus, sept seulement avaient été acquis par les Communautés.

Le bourdonnement de la foule s’enfla en crescendo tandis que des groupes se formaient et s’ébranlaient vers les sorties. Hébété par l’idée que tout était terminé et qu’il n’avait toujours pas retrouvé Aisha, Valleroy resta assis à contempler la scène vide. Autour de lui, les membres des Communautés se dirigeaient vers Klyd, le forçant à reprendre son rôle de Compagnon.

Il remarqua que Klyd tendait quelque chose à Nashmar, quelque chose qui ressemblait à une petite bourse, mais il n’eut pas le temps de s’étonner. Un autre médiateur, portant une livrée cannelle, salua Klyd avec effusion avant de s’exclamer :

– Tu m’étonnes ! Pas le moindre achat pour Zeor ! Les récoltes ont-elles été si maigres ?

Klyd rit en présentant Valleroy.

– Au contraire, elles ont été abondantes, cette année, Siml, mais Zeor réussit suffisamment de Gens pour le moment.

– Que fais-tu à Iburan, alors ? demanda un des Compagnons.

– Les temps changent… Disons que j’essaie de retenir un Gen talentueux…

– Ah ! s’exclama le Compagnon. Tu cherches une femme !

– Dois-je répondre ? plaisanta Klyd.

– Non, admit Nashmar, réponds plutôt à ma question. Quel est ce grand talent qu’il te faut retenir ?

– On ne peut le décrire par des mots, mon cher ami. Tu verras par toi-même à Arensti.

– Zeor a l’intention de gagner à nouveau cette année ?

– Cela me semble inévitable ! répliqua le médiateur.

Les regards qui s’échangèrent après cette déclaration solennelle ne laissaient aucun doute dans l’esprit de Valleroy quant à l’importance de Zeor au sein du Tecton.

– Naztehr…, demanda Nashmar à Hugh. Tu es dessinateur ?

– Un artiste, Sectuib.

– Mais tu es le dessinateur de Zeor pour Arensti ?

– Zeor m’a fait cet honneur.

Le respect qu’il put lire dans les yeux de son interlocuteur lui donna un choc. S’il avait su quel degré de confiance Zeor plaçait en lui, il aurait sans doute refusé d’essayer. En fait, à cet instant, il éprouva l’envie de retirer son dessin de la compétition, comme s’il craignait de ternir la réputation illustre de Zeor.

Cette idée l’abandonna vite. Nashmar attira Klyd près de lui, tandis que les autres se dispersaient lentement.

– La Maison d’Imil aimerait soumettre une proposition à la considération de Zeor…

– Zeor écoute…, répondit cérémonieusement Klyd.

Prenant exemple sur le Compagnon de Nashmar, Valleroy se plaça légèrement en retrait des médiateurs. Il écouta calmement la conversation, essayant de combler ses lacunes de vocabulaire.

– Imil a besoin des services d’un artiste exceptionnel afin d’établir le catalogue de la collection de printemps. Nous aimerions emprunter votre dessinateur Arensti pendant quelques jours…

– Oh, je ne sais que dire… Zeor a beaucoup de travail pour lui et…

– Nous sommes prêts à bien rétribuer une Maison riche en Gens. Le prestige que représente un catalogue réalisé par un dessinateur Arensti vainqueur vaut bien… disons… un jeune médiateur. Nashmar abandonna toute prétention de marchandage. Pense à ce que cela représente pour le Tecton ! Le triomphe d’une Maison à Arensti, une superbe collection d’été qui va balayer le marché également réalisée par une Maison et le catalogue de cette même collection entièrement dessiné, exécuté et imprimé par nos Gens !

Il souligna les deux derniers mots afin de démontrer l’importance historique de cette preuve de haute créativité chez les Gens.

– Tu as raison, Nashmar, admit Klyd en fronçant les sourcils. Cependant, malgré ma confiance en Zeor, le jugement d’Arensti n’est pas encore tombé. Au moment de la proclamation du vainqueur, Naztehr Hugh sera profondément engagé dans les affaires de Zeor et…

– À ce moment-là, il sera trop tard pour nous. Le catalogue doit être terminé avant que le vainqueur soit annoncé. Imil est prêt à miser sur les chances de Zeor.

– Cela n’a rien d’un jeu. Qu’il soit vainqueur ou vaincu à Arensti, Hugh n’en est pas moins le meilleur artiste de ce côté de la rivière.

– Alors, il nous le faut. À n’importe quel prix ! Accompagne-nous à Imil afin que nous puissions discuter dans une atmosphère plus agréable.

Klyd hésita.

– D’ailleurs, où veux-tu passer la nuit ? Cette vente a certainement battu le record de longueur et il y a bien sept heures de cheval avant d’atteindre le relais du Mi-Chemin. Pas un hôtel à Iburan ne vous acceptera. Et, ajouta-t-il avec finesse, Imil possède quelques filles à marier tout à fait acceptables pour un Compagnon !

– Mais…

– De plus, j’ai trois Gens en haute tension à transporter. J’aurais bien besoin d’une escorte.

– La route de Thadie n’est plus sûre ?

– Andle et ses hommes sont en train d’agiter la région. Plus aucun endroit n’est sûr depuis que Zelerod a publié cet article.

– Pourtant, nous nous étendons… Zeor a gagné quinze Simes l’année dernière.

– Et Imil dix… C’est un chiffre record et j’espère qu’il augmentera. Il te faudra bientôt un autre médiateur ; aussi, pourquoi ne pas le gagner avec quelques jours de ton temps ?

– C’est une proposition tentante, Nashmar, mais…

– Alors, laisse-toi tenter… Je t’offre un logement pour la nuit et une discussion d’affaires sérieuse.

– Bien…, acquiesça Klyd en jetant un coup d’œil impuissant à son Compagnon, je te dois une escorte…

– Allez chercher vos chevaux et retrouvons-nous au quai de chargement, à l’arrière du bâtiment. Mon fourgon est garé chez Tubrem.

Ils se séparèrent. Valleroy reprit sa place à côté du médiateur, bouillonnant d’objections qu’il était obligé de garder pour lui.